Rapport de pouvoir !

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« … On en vient maintenant à ce moment dramatique de l'endettement où demeure l'obligation de payer quand on en a plus les moyens.

La dette impayable ne brise-t-elle pas irrémédiablement la logique échangiste ? Elle engendre une forme de lien social qui paraît irréductible à l’échange et se fonde sur un rapport de forces aliénant. Le rapport créancier-débiteur manifeste une inégalité de pouvoirs qui peut se transformer à tout moment en abus de pouvoir. Ce n’est plus la raison ou le crédit mais la cruauté qui détermine alors le rapport créancier-débiteur. La cruauté entraîne les deux contractants dans un rapport de violence qui n’a pour issue que la mort de l’un ou de l’autre.

La situation de dépendance est pour le créancier l'occasion d’exercer sa puissance en profitant de la faiblesse de son débiteur. Le créancier tend facilement à devenir un tyran, quand les limites du contrat  ne sont pas fixées à l'avance et reposent sur une raison qui est l’expression d'un désir de puissance à peine dissimulé. Le débiteur devient le vassal d'un autre qui le soumet à sa loi et l'oblige à renoncer à vivre par et pour lui-même. Dans la définition du rapport créancier-débiteur, le débiteur apparaît le plus souvent lié, assujetti et le créancier, puissant, menaçant.

Cependant en insistant sur l’asservissement du débiteur, on relativise la situation de dépendance dans laquelle se trouve aussi le créancier. La dépendance est en effet permutable selon les enjeux de la dette. Si le montant de la dette est faible par rapport au patrimoine que possède le créancier, c'est le débiteur insolvable qui se trouve en situation d'asservissement. Mais si le montant de la dette est élevé, le créancier devient l’otage du débiteur insolvable. Il est vrai que dans le contrat qu’il passe avec son débiteur, le créancier pour diminuer ses risques d'assujettissement et recouvrer sa créance a recours à des droits de gage, des garanties qui lient doublement le débiteur. Dans tous les cas, la dépendance qui fonde le rapport créancier-débiteur rend impossible le rapport éthique, elle-même à l’origine de la pire des aliénations. »

Nathalie Sarthou-Lajus « L’éthique de la dette »