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Paysans… ailleurs

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La campagne russe devient de plus en plus transparente, quasi inexistante de par ses étendues arides et brumeuses. À chaque départ de famille, le pays rural perd de ses sources vitales. Mélancolie et tristesse envahissent les yeux de quiconque regarde cette terre. Pourtant la vie et l’amour de la terre y sont ancrés. Dans ces étendues de la Vologda une rencontre a lieu avec Sergey et Valérii qui nous offrent un témoignage de fierté et d’espoir.


Sergey Yshkevitch, 38 ans, producteur laitier, habite dans une commune à 450 km de Vologda. Sa force physique et son charme rendent son récit encore plus passionnant. Sergey fait partie de ceux qui se sont lancés dans l’agriculture dans les années 90, période la plus difficile. Il a créé avec un associé une exploitation sur la base d’un kolkhoze d’une superficie de 1 900 ha.
L’histoire de Valérii Arkhipov est différente. Il a connu la douleur dans sa petite enfance de rester seul avec sa grand-mère après le décès de ses parents. A 12 ans, sans ressources, il fait son chemin. Avec volonté il a obtenu un prêt bancaire pour acheter son vélo. Seul moyen de transport pour lui accessible, il a ainsi commencé à travailler comme «vacher» dans un kolkhoze.

De longues années ont été nécessaires pour créer son exploitation. Après dix années sans le moindre soutien financier, il emploie aujourd’hui 8 ouvriers agricoles et exploite un atelier de 60 vaches. Parmi les 7 exploitations créées au début des années 90, seule la sienne a survécu.

Sergey veut préserver son mode de production traditionnel et sa qualité de vie. Cela devient difficile, la plupart des agriculteurs affrontent en solitaire toutes les contraintes de la vie rurale. «Quelle que soit la
qualité de nos produits, elle n’a jamais été mise en valeur. En ce qui concerne les prix, c’est une jungle où il n’y a aucune visibilité, même pour les 3 mois à venir. Si la situation ne s’améliore pas, d’ici un an je serai obligé de passer à l’élevage intensif et moins coûteux. C’est toute ma vie, fruit d’un travail de presque 20 ans que je devrai abandonner.»


Pourtant l’agriculture restera toujours la passion de Sergey. Il garde le moral. Il y a encore l’espoir de pouvoir persévérer dans ce métier. «La campagne est à l’origine de ce qui est naturel et durable dans notre vie, en particulier dans nos petits villages russes dispersés sur d’immenses étendues et empreints de force et de liberté. La campagne forge notre vie. Si on la détruit, on perdra notre identité. Depuis la disparition de l’Etat Soviétique, on laisse disparaître ce qui avait été créé, sans reconstruire grand-chose. Aujourd’hui on a tout à faire. Mais il n’y a pas que les terres et les moyens de production. Il existe un défi beaucoup plus important à relever. Faire revenir les jeunes agriculteurs, les former, leur donner envie de cultiver la terre. Dispersés sur les grandes étendues de la région, le seul choix pour ne pas se retrouver dans une impasse est de consacrer du temps à des rencontres pour échanger, et tracer le chemin pour les plus jeunes. Cet apprentissage sans lequel l’avenir des exploitations familiales est impossible est prioritaire. Or il n’existe aucun dispositif local ou national qui favorise cet investissement dans l’Homme, son savoir faire, son métier.»


La passion de Sergey rejoint la sérénité de Valérii qui au fil du temps s’est réapproprié du savoir. Sachant trouver un équilibre entre les moyens empruntés et son propre capital, gardant la main, en restant indépendant de toute subvention, il a su maintenir le cap en période de crise. «J’ai toujours suivi la même règle : ne jamais surestimer ses moyens et être responsable de ses décisions», dit Valérii avec fierté.
Et d’ajouter : «tant que je suis là, mon village existera.» D’ailleurs pour contribuer à cette existence, Valérii a un nouveau projet, celui de reconvertir son exploitation en établissement de formation pour des étudiants agronomes et de jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer.

Tatiana Milenina