On ne naît pas bon négociateur, on le devient…

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« … Dans la vie privée et professionnelle, la négociation occupe une place de choix et prend des formes très diverses. Comment apprend-on à négocier?

Existe-t-il une part de talent naturel chez les négociateurs ?

Certes, parce qu'elle est une activité profondément humaine, la négociation repose sur des qualités interpersonnelles dont nous sommes plus ou moins bien dotés. Le fait d'être à l'aise dans la relation aux autres, la capacité à maîtriser ses émotions et à comprendre celles d'autrui, la rapidité à saisir une opportunité sont autant d'atouts. Mais la part de talent "inné" me semble minoritaire — et de plus en plus minoritaire à mesure que s'élèvent le niveau et l'enjeu des négociations. D'une part, ces qualités interpersonnelles peuvent s'améliorer par un travail sur soi. Prendre conscience de l'importance de l'écoute, par exemple, et en travailler les techniques donnent de bons résultats. Idem pour la confiance en soi. D'autre part, et surtout, la négociation se fonde sur un ensemble d'outils, de processus et de méthodes, éclairés par la recherche et validés par l'expérience, qui peuvent être appris.

La phase de préparation est-elle la clé de la réussite ?

Une négociation réussie s'appuie sur plusieurs aspects : savoir se préparer, mais aussi construire une séquence de négociation dans le temps, maîtriser les techniques de création et de répartition de valeur, gérer l'échange d'informations, se protéger des principaux biais psychologiques, structurer une équipe de négociateurs, relever le défi d'une négociation multilatérale et des coalitions qui s'y nouent. Il s'agit d’enjeux pour lesquels des méthodes éprouvées existent, peuvent être apprises puis mises en pratique.

Quels réflexes vous paraissent les plus contre-productifs ?

La plupart d'entre eux participent d'une même erreur : se focaliser sur l'évident au point d'en oublier l'essentiel. En voici un exemple simple : il est évident que le négociateur doit parler, s'exprimer pour convaincre. Mais le négociateur qui vire au moulin à paroles est sûr d'échouer. L'essentiel est d'abord d'écouter : obtenir de l'information — qui vaut de l'or en négociation, pour surmonter les asymétries, témoigner de l'égard et consolider la relation, et enfin poser un précédent : « je vous ai écouté, et je vous le démontre en reformulant ma compréhension de ce que vous avez dit, à mon tour à présent ». Cette phase d'écoute avant la prise de parole donne les moyens de présenter au mieux ce que l'on s'apprête à dire, précisément pour être le plus convaincant possible, d'ajuster au mieux le point d'ancrage… De même, le fait de se ruer sur le gâteau pour se le partager, avant de tenter de l'agrandir en créant de la valeur. Ou bien de parler du fond sans avoir au préalable prévu un processus et des règles de travail.

La négociation peut parfois basculer dans une forme de manipulation. Quelles sont les précautions à prendre pour éviter cette dérive ?

N'oublions pas que la négociation est un processus qui vise un accord mutuellement satisfaisant. Cela suppose de réunir deux conditions : d'une part, que cet accord soit efficace, c'est-à-dire qu'il génère un contenu auquel ni l'un ni l'autre des négociateurs n'aurait, seul, accès ; d'autre part, que la répartition de ce contenu soit équitable pour chacun. Si l'accord est perçu comme efficace et équitable, il a toutes les chances d'être durable, troisième caractère d'une négociation réussie. Équité ne veut pas dire égalité : iI peut y avoir un grand gagnant et un plus petit gagnant. Mais chacun doit s'y retrouver, par rapport à la situation qu'il connaîtrait en l'absence d'accord négocié. Reste que cette équité n'est que perçue : des asymétries d'informations et des biais peuvent fausser la perception du négociateur, à son détriment. De plus, ces biais peuvent être induits par l'autre négociateur — là commence la manipulation. La plupart des techniques "brutales" de marchandage s'appuient sur un ou plusieurs de ces biais cognitifs. »

Aurélien COLSON