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La jeunesse et les nouveaux modes de vie

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PA - Si l’allongement de la vie semble bénéficier en priorité aux retraités et aux personnes âgées qu’en est-il de la jeunesse ? Elle semble payer au prix fort la crise économique, confrontée au chômage ou à des revenus insuffisants. Si elle peut se définir par le désir, la mobilité, la consommation, elle se caractérise aussi par le manque, la frustration, la difficulté à envisager sereinement l’avenir. Être jeune en France, estce
une situation plus favorisée ou au contraire plus problématique que par le passé ?

J.V. - L’allongement de la vie a des conséquences sur nos modes de vie et sur le temps que nous consacrons, plus souvent et plus librement qu’auparavant, à des activités diverses qui mobilisent notre désir, notre imaginaire, notre curiosité. Notre rapport au temps et au lien social est devenu une affaire privée et affective. Plus la vie est longue, plus on la vit par séquences courtes. C’est une sorte de paradoxe. La société du Zapping est celle des vies longues. Nos convictions et nos engagements deviennent des bricolages à concentrer en 140 signes. Chez les jeunes cela est fondamental. Le rapport au travail se trouve transformé par ce découpage du temps en activités courtes, discontinues que l’on voudrait vivre intensément. Nos comportements en termes d’affection priment alors sur nos comportements au travail. L’amour mobilise plus que la production. Les 12 % du temps de vie que nous consacrons au travail ne peuvent écraser les 88 % qui en font l’attractivité autant que la diversité. L’activité économique restera essentielle à la survie, mais elle ne suffira plus à définir les aspirations humaines qui sont avant tout portées ou mises en avant par les jeunes. On veut du temps pour soi plutôt que pourle travail et le financement des biens publics.


L’allongement de la vie n’est pas du plus quel’on retrouve à la fin, il se porte également sur la jeunesse qui s’étend sur une période plus longue que par le passé. Lorsque vous quittiez l’école à 12 ou 14 ans pour commencer à travailler, il n’y avait pas de jeunesse. Si l’on définit l’âge adulte, comme celui où l’on sait gagner sa vie et l’on sait se reproduire. Entre 18 et 21 ans on avait expérimenté l’essentiel de ce que serait notre vie future. On passait de l’enfance à l’âge adulte en quelques années, dans la période entre l’école, l’armée et le travail. Et il n’est pas exagéré de penser que c’est l’allongement de la vie qui a inventé la jeunesse. C’est aujourd’hui une période qui s’étale sur une dizaine d’années voire davantage, entre 16 et 26-28 ans, dans laquelle l’expérimentation prend désormais toute sa place : 1ers voyages, 1ers boulots, 1ers logements, 1eres expériences sexuelles et amoureuses…

Les domaines d’expérimentation et du temps libre s’élargissent en même temps que se prolonge la jeunesse dans un grand désordre de désirs et de projets. Autre paradoxe : plus les « possibles » s’offrent à nous, plus nous sommes frustrés de tout ce que nous ne pourrons réaliser, malgré des vies plus longues, et insatisfaits de ce que nous avons fait ou projeté de faire.
Le rapport au travail ne peut donc jouer le même rôle intégrateur et coercitif que par le passé. C’est pourquoi, l’on doit considérer que le temps de non travail est un temps actif et productif où les processus d’apprentissage, de découverte tiennent des places sans cesse croissantes dans un monde complexe « sans dehors ». En ce début du XXIème siècle, il faut une heure d’étude pour produire 2 à 3 heures de travail. 20% seulement des emplois sont consacrés à la production d’objets. Comment peut-on raisonner
exclusivement sur la sphère productive sans prendre en compte les libres apports de la vie sociale qui contribuent autant que le travail luimême
à produire du lien social, de la richesse, de la mobilité, de l’organisation territoriale ? Le problème que nous rencontrons est que la culture de la production et l’art de vivre n’arrivent pas à être portés par les mêmes
acteurs et à s’intégrer dans un récit commun.

A 30 ans, les jeunes qui auront fait des études auront du travail alors que les jeunes en décrochage scolaire n’en n’auront toujours pas. Il y a là une fracture qui produit de l’exclusion pas seulement dans le rapport au travail mais dans les aspirations et les choix de vie qui s’offrent de manière bien différente selon que l’on est dans l’un ou l’autre cas. Cette exclusion s’accompagne d’une sédentarisation de couches importantes de la société qui se retrouvent dans des territoires de relégation (petites villes en difficulté, zones périurbaines) et constituent le versant opposé de cette société de mobilité où les modes de vie (habitat, paysage, environnement, transports…) conditionnent de plus en plus les choix professionnels. Comment intégrer dans notre société quelqu’un qui n’est jamais parti en vacances ? Comment voulez-vous faire accéder au marché du travail ces parts sédentarisées ou re-sédentarisées de nos sociétés ? En ruralité, les relations de proximité jouent encore un rôle d’intégration à l’emploi pour des jeunes en difficulté qui finissent par trouver un travail dans l’économie des personnes âgées, les espaces verts, les services de proximité. Mais si vous prenez les quartiers nord de Marseille vous avez 90.000 jeunes dont 20.000 sont sans emploi, « condamnés à résidence ». Aux problèmes de chômage et de revenus se greffent l’inégalité d’accès au capital spatial, l’inégalité subie face à la mobilité qui deviennent des éléments centraux d’exclusion sociale et culturelle.