L'agriculture, symbole de l'altérité à retrouver

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« La distinction est apparemment simple : le sol renvoie à la nature, la civilisation à la culture. Sauf que dans l'histoire de l’humanité, le sol a toujours été aussi une culture et finalement une civilisation.

Et le paradoxe est que le XXe siècle sera le grand retour de la civilisation du sol et de toutes les cultures qui y sont liées, par opposition au modèle urbain du XXe siècle. Non seulement parce que le déséquilibre ville - campagne étant disproportionné, il faudra bien le rééquilibrer au profit des campagnes, mais aussi parce que la population de 8 à 10 milliards obligera à revaloriser dans un monde ouvert et tout petit l’importance de l’agriculture, et de la nature comme dimension économique, anthropologique et culturelle. C'est cela le grand renversement anthropologique : la question du sol, de l’agriculture, de la nature, est la nouvelle frontière de la civilisation technique des systèmes d’information triomphants.

… Ce qu’il reste de paysans est accusé, en outre, au nom des valeurs écologiques dominantes de « détruire » la nature et d’être les rois de la pollution. La stratégie du soupçon s’impose. Le monde agricole considéré comme responsable et acteur de la destruction de la nature, est mis en cause par les vigilants écologistes. Tout le monde soupçonne tout le monde mais l’internaute mondial, accusateur et justicier, ne sait plus ni monter un meuble, ni bricoler, ni même faire du jardinage, préférant acheter dans les magasins bio, chers, mais « naturels ». Le citoyen moderne, hyperbranché sur les réseaux, avide de vitesse, et d’interaction dans un monde devenu tout petit, n’a de contact ni avec la nature, ni avec la matière et s’émeut devant cette nature en vitrine.

… La rationalité triomphante de la mondialisation, et des systèmes d’'information, ne sonne pas le glas des visions rurales et industrielles du monde, mais souligne au contraire l’importance de réintroduire de l’altérité, là où progresse la logique du même. C’est le statut de l’altérité dans l’anthropologie politique et culturelle à l’aube du XXIe siècle qui est en cause. Et le monde agricole permet ici un étonnant pied de nez à l’Histoire. Le secteur le « plus ancien », celui qui devrait être « réduit » à l’essentiel et se faire oublier, devient au contraire le symbole de l’altérité à retrouver, pas seulement sur le plan économique et social, mais aussi culturel et politique. Ceci pour que la mondialisation soit autre chose qu’un impossible, et violent, processus de standardisation et de rationalisation. Que le plus ancien devienne le symbole de ce qu’il faut préserver et à faire cohabiter avec d’autres valeurs de la société est une belle « revanche » symbolique. La communication, non plus comme un modèle hiérarchique de transmission de haut en bas, comme on le conçoit le plus souvent, mais au contraire, comme un processus constant de négociation pour que des visions contradictoires du monde, mais indispensables, puissent cohabiter... »

Dominique Volton